« Conclave » sur les retraites : une réforme plus juste est-elle possible ?


Il y a eu les Grenelle de l’environnement ou des violences conjugales, les Etats généraux de l’alimentation ou de l’information, et même les Assises du travail ou de l’eau. François Bayrou aura voulu se démarquer en annonçant, dès son discours de politique générale le 14 janvier, un « conclave » des retraites.

Une « méthode inédite », selon le Premier ministre, qui consiste à enfermer (ou réunir) pendant trois mois les partenaires sociaux afin qu’ils s’accordent sur le sujet. Le chef du gouvernement, qui a échappé à la motion de censure, a compris à quel point cette thématique était décisive. La réforme de 2023, qui a allongé l’âge légal de départ à 64 ans, continue de susciter les critiques, autant à gauche qu’au sein des syndicats et dans l’opinion publique.

Concrètement, François Bayrou a chargé la Cour des comptes d’une « mission flash » pour établir des bilans chiffrés « indiscutables » du système de retraite d’ici au 19 février. Les organisations syndicales et patronales ont ensuite jusqu’à fin mai pour proposer des pistes de réforme.

« Si cette délégation trouve un accord d’équilibre et de meilleure justice, nous l’adopterons, a promis Matignon. Le Parlement en sera saisi lors du prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale, ou si nécessaire par une loi. »

« Pas de tabou, pas de totem », a répété le Premier ministre, pas même celui de l’âge, si ce n’est une ligne rouge : ne pas dégrader l’équilibre financier, puisque les départs à la retraite provoqueraient déjà un déficit de 55 milliards d’euros, selon son propre chiffrage qui est sujet à caution. En effet, comme nous l’expliquions dans cet article, contrairement au Conseil d’orientation des retraites (COR) et aux économistes, François Bayrou considère que tout ce qui n’est pas des cotisations est de la dette.

Plusieurs idées sont déjà avancées, sachant que contre le déficit des retraites, on a tout essayé ou presque : l’âge légal a été repoussé à 64 ans, la durée du travail est en passe d’atteindre les 43 annuités et les effets des précédentes réformes, notamment le fait de ne plus indexer les pensions sur les salaires mais sur l’inflation, ont déjà entraîné le décrochage du niveau de vie relatif des retraités par rapport à celui des actifs.

Alors, comment financer notre système de retraite avec une réforme « plus juste » que celle de 2023, pour reprendre les termes de François Bayrou ?

Augmenter les recettes

Il reste les cotisations sociales, levier qui semble le plus évident. Déjà, parce qu’il s’agit de la première ressource : notre système est principalement financé par les cotisations payées par les actifs (66,5 %), puis par des contributions de l’Etat (pour les retraites des fonctionnaires et les régimes spéciaux), par des impôts et taxes affectés (CSG, TVA, etc.) et par quelques autres ressources.

Ensuite, parce que la situation du déficit des retraites n’est pas due au hasard. Ces dernières années, les gouvernements d’Emmanuel Macron ont choisi de baisser les ressources publiques.

« La baisse du taux de prélèvement global1 est historique : près d’un point entre 2021 (31,2 %) et 2027 (entre 30,2 % et 30,4 %), d’où les déficits exhibés », précise l’économiste Christophe Ramaux.

L’Etat pourrait tout aussi bien faire un autre choix politique, en augmentant la part du traitement indiciaire de la fonction publique, par exemple.

« Face à un risque social qui augmente, cela paraît assez naturel de mettre des recettes supplémentaires », Michaël Zemmour, économiste

Qui plus est, « face à un risque social qui augmente – plus de chômage, plus de maladies, plus de retraités –, cela paraît assez naturel de mettre des recettes supplémentaires, explique Michaël Zemmour, économiste et enseignant-chercheur à l’université Lumière Lyon 2. C’est le cas pour n’importe quelle assurance. Si l’assurance contre les intempéries fait face à davantage d’intempéries, on ne trouve pas absurde de se poser la question d’augmenter les cotisations ».

L’économiste a ainsi fait le calcul : en augmentant les cotisations de 0,15 point par an, à partager entre employeurs et salariés, d’ici à 2032, l’abrogation de la réforme Borne serait financée. Et l’âge légal de départ pourrait donc revenir à 62 ans.

Reste aux organisations syndicales ou aux politiques de s’accorder sur les modalités de l’augmentation des cotisations. Car elles pourraient être plus importantes pour les employeurs ou pour les hauts salaires.

« Et même si les salariés payaient l’intégralité de ces hausses de cotisations, cela représenterait quelques euros supplémentaires par mois en 2032 (de l’ordre de 15 euros au Smic, mais ça pourrait être moins si d’autres payent plus) », poursuit Michaël Zemmour.

D’autres recettes pourraient également permettre de financer le système de retraite. En d’autres termes, il s’agirait d’élargir l’assiette des cotisations.

Instaurer des cotisations sur l’intéressement, la participation et les dividendes permettrait de dégager près de 27 milliards d’euros

La CGT propose, par exemple, d’en instaurer sur les primes qui n’y sont pas assujetties, à savoir l’intéressement et la participation, ce qui représenterait un gain de 2 à 3 milliards d’euros. Soumettre les revenus du capital, comme les dividendes, à des cotisations, aurait pour effet de dégager 24 milliards d’euros, suggèrent des membres du collectif des Economistes atterrés.

Enfin, une autre façon de mobiliser des recettes consisterait à supprimer les exonérations de cotisations sociales dont bénéficient les entreprises. Instaurées dans les années 1990 pour baisser le prix du travail au niveau du Smic et encourager la création ainsi que le maintien de l’emploi, ces aides représentent plus de 70 milliards d’euros.

Or, de plus en plus d’experts remettent en question leur efficacité, en témoigne la publication fin 2024 du rapport Bozio-Wasmer. Les deux auteurs y préconisent de lisser la pente des exonérations de cotisations sociales.

« A budget constant, notre scénario pourrait déplacer la distribution des salaires vers des niveaux plus élevés, se félicitent les économistes. Il y aurait moins d’emplois au niveau du Smic et davantage au-dessus. »

L’allégement des exonérations de cotisations sociales, leur conditionnement, voire leur suppression pourrait donc permettre à l’Etat de retrouver des fonds pour financer la protection sociale.

Vieilles rengaines patronales

Qu’il s’agisse d’un retour sur les généreuses aides octroyées aux entreprises ou d’augmentations, même partagées, des cotisations sociales, on voit mal comment les partenaires sociaux pourraient parvenir à un accord global durant leur « conclave ». Lors du budget proposé par Michel Barnier, en fin d’année dernière, le patronat avait exercé un lobbying tel que le gouvernement était revenu sur la possibilité de repenser les exonérations de cotisations sociales.

Et interrogé mi-janvier sur France Inter au sujet d’une hausse des cotisations qui financent les retraites, Patrick Martin, numéro 1 du Medef, s’était braqué, répétant un refrain désormais bien connu : le sacro-saint « coût du travail » est déjà trop élevé en France pour être davantage alourdi.

Le Medef s’oppose à la hausse des cotisations qui financent les retraites mais compte bien ouvrir le débat d’une retraite par « capitalisation »

Mais puisque chacun peut mettre ses propositions sur la table, l’organisation patronale compte bien ouvrir le débat d’une retraite par « capitalisation ». Avec un tel système, les individus placent des fonds sur le marché afin d’obtenir une rente ou le versement d’une somme qui constituera leur retraite.

Le problème, « c’est que tout le monde n’a pas la possibilité de mettre de l’argent de côté dans les fonds de pension, et donc ça fait exploser les inégalités parmi les retraités », résume Bruno Palier, directeur de recherche du CNRS à Sciences Po.

C’est notamment ce qu’il s’est passé en Allemagne. Pour limiter le poids des dépenses de retraite par répartition, l’Etat a mis en place des dispositifs par capitalisation qui se sont traduits par une augmentation des inégalités devant la retraite et plus de pauvreté des pensionnés. Ces conséquences expliquent pourquoi les syndicats s’opposent farouchement à cette option.

De telles divergences entre les représentants des salariés et ceux des entreprises ne laissent pas augurer une fin heureuse pour les négociations qui viennent de s’ouvrir. Et l’abrogation pure et simple de la réforme de 2023 paraît hors d’atteinte. Sur la même ligne que le gouvernement, le patronat soutient en effet l’allongement de l’âge légal. Il n’a donc pas intérêt à trouver des compromis.

La situation rappelle les négociations portant sur l’assurance chômage. L’an dernier, le cadre financier était si contraint que les négociations étaient vouées à l’échec, le gouvernement ayant ensuite toute latitude pour reprendre la main.

Pour éviter ce scénario, le Parti socialiste, qui espère bien trouver une majorité à l’Assemblée pour faire tomber les 64 ans par un vote, a tout de même obtenu de François Bayrou la promesse qu’un texte de loi serait examiné par les parlementaires. Et ce, même si syndicats et patrons ne parviennent pas à un accord global. Sous réserve, tout de même, d’un « accord politique et d’un équilibre financier global maintenu », a indiqué Matignon.

Une discussion biaisée

Faute d’avoir obtenu une suspension de la réforme de 2023, qui aurait pu être financée par le fonds de réserve2, elle continue en tout cas de s’appliquer. Or, l’âge légal et la durée de cotisation progressent rapidement. Si la réforme devait être abrogée à l’été, après qu’un accord a été trouvé, les deux tiers de la réforme auront été déployés et le compteur serait donc arrêté sur 63 ans.

Les partisans d’un retour à 62 ans, voire à 60 ans, y verraient le verre à moitié vide quand d’autres salueraient le verre à moitié plein et se féliciteraient d’avoir enfoncé un coin dans la réforme de 2023.

Si l’on a la chance de voir sortir une fumée blanche de ce conclave, elle aura tout l’air d’un pansement que l’on place sur des injustices qui perdurent

En attendant un hypothétique dénouement positif sur les 64 ans, les partenaires sociaux (et les différents groupes politiques) pourraient s’accorder sur des aménagements concernant des sujets moins inflammables, comme la pénibilité ou les carrières hachées des femmes. Des questions fondamentales, bien sûr, mais qui ne répondent pas aux attentes principales des salariés, conclut Michaël Zemmour :

« Sur le fond, la réforme a déjà été loin dans les aménagements, avec les carrières longues notamment, mais la rupture qui a eu lieu avec les assurés et les partenaires sociaux s’est faite sur le cœur du projet : l’âge de 64 ans. »

D’autant que les syndicats devront se souvenir que les aménagements ne sont pas toujours les meilleurs outils. Comme l’a documenté Patrick Aubert, économiste à l’Institut des politiques publiques (IPP), le dispositif des carrières longues peut manquer sa cible. Et une grande partie des personnes éligibles ne sont pas celles qui éprouvent le plus de difficultés au travail.

En somme, si l’on a la chance de voir sortir une fumée blanche de ce conclave, elle aura tout l’air d’un pansement que l’on place sur des injustices, liées à la mesure d’âge, qui perdurent…