Le grand âge mérite mieux que des heures de travail gratuites


La revoilà ! La proposition de travailler sept heures de plus gratuitement par an, votée par le Sénat en novembre dernier et finalement écartée par le gouvernement Barnier, est ressortie du chapeau. Il faut dire que son successeur cherche à boucler son budget et toutes les idées, même les plus mauvaises, sont bonnes à prendre.

Sur le principe, vouloir mieux financer la protection sociale est un objectif louable, et même impérieux. Y répondre par sept heures de travail non rémunérées, ce qui revient à instaurer une nouvelle journée de solidarité, ne répond pas à l’enjeu mais, plus fatigant encore, relance une bataille d’arrière-garde sur le travail des Français. L’argument est usé jusqu’à la corde : nous n’avons plus les moyens de préserver l’un des meilleurs systèmes de protection sociale en Europe alors que nous travaillons moins que nos voisins.

Une affirmation pourtant très contestable. Si l’on ne retient que les salariés qui travaillent à temps complet, oui, les Français sont à la traîne par rapport aux Européens. Mais du côté des temps partiels, l’histoire est différente. Les salariés français en contrat court sont moins nombreux qu’en Allemagne par exemple, mais ils ont des durées de travail plus longues en moyenne.

La photographie générale qui consiste à agréger les salariés à temps complet et à temps partiel, sans oublier les indépendants qui explosent leurs heures, devient plus nette et plus juste. Une fois cette addition réalisée, nous travaillons au total légèrement moins que les Espagnols mais bien plus que les Allemands et que nombre de pays nordiques.

Par ailleurs, réjouissons-nous : avec toujours plus d’actifs sur le marché du travail, les Français n’ont jamais autant travaillé de leur histoire. Et la productivité horaire, qui a longtemps été un atout hexagonal, est en train de reprendre des couleurs après avoir décroché ces dernières années.

Le grand âge oublié

Justifier des politiques sociales au motif que « tous » nos voisins font ceci ou cela est un procédé souvent peu convaincant. La vraie question est de savoir si ces heures de travail non rémunérées, dont le gouvernement espère tirer deux milliards d’euros de recettes « fléchées vers les dépenses sociales », seraient de nature à combler le déficit de la Sécu. A commencer par celui de la branche autonomie.

A lire Alternatives Economiques n°455 - 02/2025

Aujourd’hui, 28 milliards d’euros de dépenses publiques sont consacrés aux personnes âgées dépendantes. Il y a cinq ans, le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge estimait déjà à 13 milliards d’euros le montant des besoins supplémentaires à financer d’ici à 2030 (6 milliards pour le maintien à domicile et 7 milliards pour les Ehpad).

Votée au printemps dernier, la loi sur le « bien vieillir » a certes introduit de sympathiques avancées – les résidents en Ehpad peuvent accueillir leur animal de compagnie – et elle reconnaît davantage le travail des intervenants à domicile. Mais elle ne s’engage pas en matière de gros sous. Dans l’un de ses articles, le texte imposait pourtant au gouvernement de présenter dès la fin décembre 2024, puis tous les cinq ans, une loi de programmation sur la dépendance. On attend toujours. La « grande » loi sur le grand âge réclamée depuis des décennies n’est pas sortie des cartons.

Le vieillissement de la population, argument démographique sans cesse brandi pour repousser l’âge de départ à la retraite, est curieusement mis en veilleuse lorsqu’il s’agit d’aborder la question des dépenses de santé et d’accueil des aînés.

Une seconde journée de solidarité équivaudrait à bâtir un château de sable pour empêcher la marée d’avancer. En outre, faire reposer cette solidarité sur les seuls actifs est sujet à caution. Que toutes les catégories de la population, y compris les premières concernées, contribuent à cet effort par l’impôt semblerait plus équitable et serait sans doute mieux accepté socialement.