Le trumpisme, un protectionnisme parmi beaucoup d’autres


Donald Trump avait à peine retrouvé le bureau ovale lundi soir, qu’il réitérait son intention de taxer les importations en provenance du Canada et du Mexique à hauteur de 25 % et ce dès le 1er février. Les importations chinoises se verraient quant à elles appliquer 10 % de droits de douane supplémentaires, alors que le nouveau président avait parlé maintes fois de les porter à 60 % durant sa campagne.

Quant à l’idée d’imposer un droit de douane universel sur toutes les importations, il n’y a pas renoncé, même s’il n’a rien annoncé de concret en la matière. « Quasiment tous les pays profitent des Etats-Unis », a-t-il justifié.

De quoi augurer d’une guerre commerciale. La surenchère actuelle autour des droits de douane ne constitue cependant que la partie émergée de tensions qui s’intensifient à bas bruit depuis quelques années. Global Trade Alert, site pro-libre échange qui recense toute nouvelle action prise par un gouvernement affectant le commerce international, a dénombré pas loin de 60 000 mesures protectionnistes mises en place dans le monde depuis la crise financière qui a secoué le monde en 2009. Celles-ci se sont en particulier multipliées depuis la crise du Covid.

Seules 7 % de ces mesures protectionnistes ont trait aux droits de douane. Plus de 56 % prennent la forme de subventions, sans même parler des aides à l’export, qui représentent à elles seules 16 % des mesures considérées comme protectionnistes.

Depuis le début des années 2010 au moins et les difficultés des filières photovoltaïques européenne et américaine, la Chine se voit souvent reprocher d’en abuser pour avantager son industrie par rapport à ses concurrentes. La décision de l’Union européenne de taxer les véhicules électriques chinois, actée en octobre dernier, a d’ailleurs été prise au terme d’une enquête concluant à l’existence de « subventions déloyales » accordées par les autorités chinoises aux constructeurs de l’Empire du Milieu.

« Nouvelle arnaque verte »

Prouver leur existence s’avère cependant souvent compliqué, notamment parce que ces interventions étatiques peuvent prendre des formes très variées, comme des exemptions d’impôts, une attribution gratuite de foncier, des apports en capital ou encore des prêts. Washington reproche d’ailleurs à Pékin le rôle joué par ses banques publiques dans le développement des surcapacités industrielles chinoises : alors qu’il représentait 83 milliards de dollars en 2019 avant la pandémie, le montant des prêts bancaires à l’industrie en Chine a en effet atteint 670 milliards en 2023.

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Mais les Etats-Unis n’ont guère hésité à user du même instrument sous la présidence Biden, notamment à travers son programme phare, l’Inflation Reduction Act (IRA) adopté en 2022, qui prévoyait 369 milliards de dollars de subventions pour les technologies vertes américaines subordonnées à des clauses de contenu local.

Ces subventions, qualifiées de « Green new scam » (« Nouvelle arnaque verte », avec un jeu de mots sur « Green new deal ») sont aujourd’hui dans le viseur de Donald Trump, qui a besoin de dégager des moyens pour financer la promesse de prolonger les baisses d’impôts décidées sous son premier mandat.

L’un des nombreux décrets présidentiels signés par le nouveau président dans la foulée de son investiture, intitulé « Libérer l’énergie américaine », ordonne ainsi de « considérer la suppression des subventions déloyales et des autres distorsions de marché mal conçues (sic) imposées par le gouvernement qui favorisent les véhicules électriques au détriment des autres technologies ». La portée concrète de ce décret est cependant très incertaine, les pouvoirs du président de révoquer cette législation en court-circuitant le Congrès et les agences fédérales apparaissant limités.

Barrières non tarifaires

En Europe, l’adoption de l’IRA avait attisé les craintes de voir les entreprises du Vieux continent délocaliser leur production vers le territoire américain pour bénéficier de ces subventions. En réponse, l’UE a donc à son tour dégainé un plan ambitieux pour booster son autonomie dans les technologies bas carbone, le Net Zero Industry Act. Mais, contrairement à l’IRA, celui-ci soutient seulement l’investissement, pas la production, et ne mobilise pas d’argent frais, ce qui devrait limiter son impact.

Outre les droits de douane et les subventions, les Etats mobilisent bien d’autres instruments à des fins protectionnistes, qu’on qualifie souvent de « barrières non tarifaires ». Tel le contrôle des investissements : Washington a ainsi signé en août 2023 un décret pour filtrer les investissements américains en Chine dans trois technologies sensibles – les semi-conducteurs, l’informatique quantique et l’IA – afin d’éviter que des capitaux américains ne financent le développement des capacités militaires chinoises, avant de s’opposer en décembre dernier au rachat du sidérurgiste US Steel par son concurrent japonais Nippon Steel.

La moitié de la baisse des importations américaines lors de la guerre commerciale de 2019-2020 était due à l’accroissement de barrières dites non tarifaires

L’antitrust peut parfois être utilisé aux mêmes fins, comme lorsqu’en décembre Pékin a ouvert une enquête antimonopole contre Nvidia, le champion des puces d’intelligence artificielle, sans doute pour le punir d’avoir cédé à l’obligation qui lui était faite par le gouvernement américain de ne plus livrer ses produits les plus avancés à la Chine.

Enfin, l’adoption de normes sociales et environnementales, si elles sont souvent une bonne nouvelle pour les consommateurs ou les salariés, peut aussi cacher d’autres intentions. Une étude publiée par le National Bureau of Economic Research (NBER) avance ainsi que la moitié de la baisse des importations américaines lors de la première guerre commerciale sino-américaine en 2019-2020 était due à l’accroissement de barrières dites non tarifaires. En l’occurrence ici, des normes sanitaires et de qualité supplémentaires sur les produits agricoles et industriels.

L’Europe n’est pas restée les bras ballants non plus récemment sur ce sujet, qu’il s’agisse de sa taxe carbone aux frontières, qui vise à étendre ses normes environnementales aux entreprises exportant sur son territoire, ou bien de la directive sur le devoir de vigilance, qui impose aux grandes entreprises de faire respecter les droits humains et l’environnement tout au long de leur chaîne d’approvisionnement.


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Dossier
PHOTO : © Sergio Aquindo

Donald Trump aime s’affubler du surnom de Tariff Man (de l’anglais tariff, droit de douane). Tout comme son lointain prédécesseur, le président William McKinley, qui à la fin des années 1890 voulait taxer les importations pour protéger l’industrie américaine et remplir les caisses de l’Etat afin de diminuer les impôts.

Le 47e président des Etats-Unis revendique cet héritage. A peine réinstallé dans le bureau ovale, il entend mettre en œuvre sa promesse d’augmenter à 25 % les droits de douane sur les importations en provenance du Mexique et du Canada. Les produits chinois se voient gratifiés d’un supplément de taxes de 10 %. Et l’Europe pourrait bientôt se voir appliquer le même tarif, coupable aux yeux du président de ne pas acheter assez de voitures, ni de produits agricoles Made in USA.

En dressant ses barrières douanières tous azimuts, Trump promet un nouvel « âge d’or ». A court terme, il risque surtout de récolter une guerre commerciale et une belle poussée d’inflation, comme celle qui a terni le bilan de son prédécesseur Joe Biden dans l’esprit des Américains.

Surtout, débarrassées de la politique industrielle ambitieuse de l’Inflation Reduction Act du président démocrate, ces mesures échoueront sans doute à revitaliser la production nationale. L’histoire nous enseigne d’ailleurs que les motivations du protectionnisme sont en réalité plus souvent politiques qu’économiques.

La montée des tensions commerciales n’en reste pas moins une tendance de fond, en germe depuis des années. Un changement d’ère auquel l’Europe semble singulièrement mal préparée.

Vous pouvez retrouver ce dossier dans notre numéro de février disponible en kiosque.