Antivax, les contestataires de Pasteur


Pasteur et les antivax, de Jean-Luc Chappey, Agone, 299 pages, 20 euros

Louis Pasteur, notamment célèbre pour la découverte du vaccin contre la rage, a été fortement contesté entre 1880 et 1895. Jean-Luc Chappey reconstitue l’histoire tumultueuse de cette opposition plurielle et virulente. Puisant dans la presse de l’époque, l’historien des sciences tente de saisir les conditions sociales, politiques et économiques de cette défiance.

Le point d’inflexion intervient lorsqu’il a été question d’une obligation vaccinale à l’Assemblée nationale. Proposée par le député et professeur de médecine Henri Liouville, cette mesure suscite de violents débats et n’est finalement pas adoptée. Dans le même temps, les opposants au principe de la vaccination s’organisent, notamment sous l’égide d’Hubert Boëns, médecin belge à la tête de la Ligue universelle des antivaccinateurs. Les oppositions portent sur le relatif secret des expériences de Pasteur, les éventuels dangers du vaccin, le mélange des genres entre privé et public dans l’entreprise pasteurienne, qui deviendra l’Institut Pasteur, et les dégâts de la vivisection.

La situation politique est également passablement complexe. Pasteur est un ancien soutien actif du régime de Napoléon III. Sa conversion à la République apparaît comme un moyen d’obtenir des subsides pour ses laboratoires. Dans le même temps, la menace boulangiste inquiète les républicains. Le front antivaccinal est tout aussi divisé politiquement : d’anciens communards aux réactionnaires, la contestation est multiforme.

Si, peu à peu, les effets positifs des vaccins contre la rage atténuent les oppositions – qui n’ont jamais développé d’argumentaires scientifiques cohérents –, la question des conséquences politiques des mesures sanitaires d’ampleur reste ouverte. Car le camp républicain s’est clairement appuyé sur les résultats de Pasteur pour pousser son avantage. La constitution progressive d’un mythe Pasteur consolide une articulation naturalisée entre gouvernement rationnel et République.

Le fait que Pasteur et ses soutiens n’aient pas répondu aux attaques a pu fragiliser la pédagogie scientifique des vaccins. Toutefois, comme le rappelle opportunément Jean-Luc Chappey, si les oppositions bruyantes et multiformes se sont exprimées dans la presse et les conférences, le succès public de Pasteur est indéniable, ses appels à souscription rencontrant une large audience.

Comme le souligne Anne-Marie Moulin dans la postface de l’ouvrage, Jean-Luc Chappey documente un chapitre de l’histoire de la biopolitique, cette façon de gouverner les populations dont Michel Foucault avait montré qu’elle avait émergé au XVIIIe siècle. L’enjeu n’est plus alors, selon le philosophe, de « faire mourir et laisser vivre », mais de « faire vivre et laisser mourir ». L’histoire des oppositions aux vaccins s’inscrit dans ce mouvement de fond et croise des enjeux simultanément politiques et scientifiques.

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